-
Mardi 15 novembre 2022 - 16 h 40
- Cinéma Jean Eustache
-
En présence dePatrice Brun
Politique, la longue marche vers l’égalité et la parité

Politique, la longue marche vers l’égalité et la parité
Débat de l'Histoire
90 min.
C’est en 1882 qu’Hubertine Auclert emploie pour la première fois dans son journal La Citoyenne le mot « féminisme » dans son sens actuel. Rapidement à la mode, le terme recouvre des acceptions fort différentes. Les « modérées », dans la tradition philanthropique, s'attachent surtout à l'action sociale et familiale. Les « radicales » exigent l'intégration des femmes dans la cité à égalité avec les hommes.
En 1901, le Conseil national des femmes françaises (CNFF) voit le jour. En 1913, Raymond Poincaré reçoit à l'Élysée les déléguées du Xe Congrès international des femmes. Elles mettent en avant l'égalité des salaires à travail égal, l'accès à l'enseignement supérieur, la refonte égalitaire du Code civil, la recherche en paternité, un divorce facilité, l'abolition de la prostitution réglementée et, à l'unanimité, les droits politiques, ces derniers étant perçus comme le moyen d'obtenir tous les autres.
Cette priorité est stimulée par la naissance à Berlin, en 1904, de l'Alliance internationale pour le suffrage des femmes. Cinq ans plus tard naît l'Union française pour le suffrage des femmes, sous la direction de Jeanne Schmahl : elle compte 12 000 membres en 1914. Impatientes d'imiter les suffragettes anglaises, une poignée de radicales tentent d'acclimater leurs méthodes. Elles collent des affiches dans les rues. Hubertine Auclert et
Caroline Kauffmann perturbent les séances de l'Assemblée nationale. Aux élections législatives de 1910, une vingtaine de femmes se présentent, symboliquement : les bulletins portant le nom de femmes (4 % à 27 % selon les circonscriptions) sont comptabilisés comme nuls. Des propositions de lois circulent, avec à gauche Ferdinand Buisson, Marcel Sembat, Jean Jaurès, René Viviani, à droite Louis Marin.
Pendant la Grande Guerre, les féministes pratiquent l'Union sacrée mais tandis que les Anglaises, les Allemandes et les Américaines obtiennent le droit de vote, le Sénat refuse en 1922 de discuter la réforme pourtant votée en 1919 par l'Assemblée nationale (344 voix pour, 97 contre). Pour les radicaux, férocement anticléricaux, majoritaires à la Chambre haute, les femmes sont trop assujetties au clergé. L'agitation suffragiste reprend de plus belle. Le Sénat qui fait obstruction en 1932, 1935, et 1936 devient leur cible favorite.
Les militantes s'enchaînent à ses bancs ou à ses grilles, perturbent ses séances, menacent de révéler la vie privée de certains. Aux municipales de 1925, 80 candidates se présentent à Paris : 10 sont élues mais invalidées par le Conseil d'État.
Avec la crise des années 1930, le mouvement marque un temps d'arrêt. La « trahison » de Blum qui, pour complaire à son allié radical, enterre le projet suffragiste, décourage même s’il nomme trois femmes sous-secrétaires d'État.
C'est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que le renouvellement politique né de la Résistance permet enfin des avancées décisives. Par l'article 17 de l'ordonnance du 21 avril 1944, signée par de Gaulle après le vote de l'Assemblée consultative d'Alger (51 voix pour, 16 contre), le droit de vote est accordé aux femmes. Pour le Général, il s'agissait de rompre avec la IIIe République honnie, de prouver aux alliés son attachement à la démocratie et sans doute aussi de contrer l'avancée des communistes. Les femmes votent pour la première fois aux municipales le 29 avril 1945, puis pour l'élection de la Constituante. Sans bouleverser la vie politique, elles se tournent en effet moins vers la gauche et davantage vers le parti démocrate-chrétien (Mouvement républicain populaire) que les hommes. Les élues sont toutes issues de la Résistance.
Le préambule de la Constitution de 1946 précise : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme. » C'en est assez pour que certains proclament la mort du féminisme, qui n'aurait plus lieu d'être. Pourtant les principales associations d'avant-guerre se reconstituent à la Libération et reprennent leur travail de propagande. Elles réclament davantage de candidatures féminines, et les réformes du régime matrimonial légal et de la puissance paternelle (effectives en 1965 et 1970). Mais leurs troupes, clairsemées et vieillies, ne parviennent guère à renouveler leurs arguments et à attirer les jeunes. Après Simone de Beauvoir et Le Deuxième Sexe (1949), les revendications féministes porteront de plus en plus sur la sphère privée (contraception, avortement, violences sexuelles).
« Le combat pour le droit de vote » © Sylvie Chaperon, Les Collections de L’Histoire n° 34 (janvier-mars 2007).
Avec

Patrice Brun
Patrice Brun est professeur émérite d’Histoire grecque à l’Université Bordeaux Montaigne. Il a notamment publié L’invention de la Grèce. Retour sur des utilisations dévoyées de l’Antiquité grecque (Odile Jacob, 2021) ; Le monde grec aux temps classiques (490-323) ( Armand-Colin, 2020).

Emilia Koustova
Emilia Koustova est maîtresse de conférences en civilisation russe à l’Université de Strasbourg. Ses recherches portent sur la culture politique et commémorative soviétique, les répressions staliniennes, la presse et la propagande durant la Seconde Guerre mondiale. Elle a dirigé l’ouvrage Combattre, survivre, témoigner : expériences soviétiques de la Seconde Guerre mondiale (PU Strasbourg, 2020), et codirigé Le spectacle de la révolution. Culture visuelle des commémorations d’Octobre, en URSS et ailleurs (Antipodes, 2017).

Bibia Pavard
Bibia Pavard maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l'Institut Français de Presse de l'Université Paris-Panthéon Assas et chercheuse au Centre d'analyse et de recherche interdisciplinaire sur les médias. Elle travaille notamment sur les années 68, l’histoire de la contraception et de l’avortement et les mobilisations féministes. Elle a notamment publié Si je veux, quand je veux. Contraception et avortement dans la société française (PUR, 2012), Mai 68 (Que sais-je ?, Puf, 2018) Ne nous libérez pas on s’en charge. Une histoire des féminismes de 1789 à nos jours (La Découverte, 2020) avec Florence Rochefort et Michelle Zancarini-Fournel.
Bibia Pavard est également présidente de l'association Mnémosyne pour le développement de l'histoire des femmes et du genre : https://www.mnemosyne.asso.fr/mnemosyne/