L’homme et l’animal

L’homme et l’animal

L’homme et l’animal

Débat de l'Histoire

90 min.

Lorsque l'homme se lança à la conquête du monde, il n'eut pas la tâche facile. L'espèce, pendant des centaines de milliers d'années, resta peu nombreuse et frêle face aux grands Fauves[1] ou puissants Pachydermes que le chasseur-collecteur ne pouvait menacer. Tout change avec la Révolution néolithique. L'homme sédentaire circonscrit son espace, qu’il interdit aux grands Carnivores, attirés par les troupeaux, et aux pillards, Mammifères ou Oiseaux. Longtemps, cependant, cette lutte reste indécise. La croissance démographique humaine, en créant des richesses alimentaires, favorise les prédateurs. Au début des Temps modernes, le nombre de Jaguars augmente spectaculairement en Amérique du Sud à la suite de l'arrivée du bétail européen. Ne reculent que certaines très grandes espèces tel l’Ours qui doit chercher refuge dans les montagnes alors que le Loup, plus mobile et fécond, reste dangereux : une cinquantaine de personnes dévorées par an en moyenne en France dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

C'est avec l'invention des armes à feu à tir rapide, vers le milieu du XIXe siècle, que la balance penche du côté de l'homme. Dès lors, de grands Fauves disparaissent, d'autres sont réduits à des reliques éparses dans des isolats. Cette destruction s'étend parallèlement à des animaux inoffensifs, tel le Bison des prairies nord-américaines ou le Pigeon migrateur Ectopistes migratorius, qui fut sans doute, avec 3 à 5 milliards d'individus, l'Oiseau le plus abondant de la planète, exterminé en trois quarts de siècle.

Si dans les sociétés de chasseurs, la compassion pour l'animal se limite au souci de la préservation des ressources, elle se développe, après quelques pionniers comme François d'Assise et Montaigne ou Shakespeare, sous l'influence de la sensibilité des Lumières, pour s'épanouir au XIXe siècle. Avec l'établissement des listes d'espèces menacées, sous les auspices de conventions internationales (depuis Washington, 1973), la protection s'étend aujourd'hui à toute la planète. Les zoos, devenus d'efficaces centres de reproduction des espèces rares, achèvent la « mise en sécurité » définitive de l'animal sauvage. Dans la seconde moitié du XXe siècle, les extinctions ont à peu près cessé.

C'est dans cette perspective que l'homme va devoir aménager la Terre. Le problème clef sera celui de son partage avec l'animal. Or l'animal vient irrésistiblement à l'homme. Un grand nombre d'espèces se sont naturalisées dans l'espace agricole, pour ne plus guère vivre désormais que de lui : les Chevreuils depuis le XVIIIe siècle, comme les Sangliers ou, plus modestes et moins visibles, les Rongeurs, dont 125 espèces, sur 1 729 recensées, sont exclusivement commensales de l'homme. C'est à notre suite que beaucoup ont conquis le monde comme le Moineau « domestique », pur produit de la Révolution néolithique, passé du picorage des grains sauvages aux grains cultivés, notre familière Souris ou le Rat noir, puis brun, embarqués sur les navires des Grandes Découvertes.

Pour ces invasions, il y a désormais un milieu privilégié, la ville, où la table est plantureuse, l'abri présent, la reproduction facile, un « paradis des animaux » : 90 % des espèces d'Oiseaux des villes d'Europe y ont pénétré depuis la seconde moitié du XIXe siècle. On compte aussi des intrus indésirables voire dangereux : Ours blancs fouilleurs de poubelles ou Panthères qui prolifèrent dans les banlieues de l'Inde. Jamais l'animal sauvage n'acceptera le partage de la Terre. En ce XXIe siècle où s'achèvera l'urbanisation de la planète, l'homme devra donc non seulement monter la garde aux frontières de l'espace qu'il s'est réservé, mais au cœur même de celui-ci, veiller sans relâche – et tuer sans pitié.

[1] L’auteur, pour souligner l'individualité des espèces, a employé, contrairement aux usages typographiques, la majuscule pour les noms et adjectifs d'animaux.

« Un partage du monde ? » © Xavier de Planhol, L’Histoire n° 338 (janvier 2009).

 

Avec

Baratay

Eric Baratay

Historien, spécialiste de l’histoire des animaux. Il a d’abord développé une histoire humaine des animaux en étudiant des représentations (L'Église et l'animal; DesBêtes et des Dieux) et des pratiques humaines (La Corrida; Zoos), puis la condition des animaux (Et l'homme créa l'animal) et leur présence dans la société (Bêtes de somme). Il travaille depuis dix ans sur les vécus et les points de vue afin de bâtir une histoire animale des animaux (Le point de vue animal, une autre version de l'histoire; Bêtes des tranchées, des vécus oubliés ; Biographies animales, des vies retrouvées ; Cultures félines. Les chats créent leur histoire). Il s'agit de montrer que les animaux sont des acteurs importants influençant l'histoire des hommes et qu’ils ont une histoire personnelle, à retracer en se plaçant de leur côté pour comprendre leurs situations, leurs comportements, leurs réactions. Ces approches exigent une redéfinition de l'histoire, de ses problématiques, ses méthodes, ses écritures, un croisement avec d’autres sciences, une révision des concepts utilisés de manière à bâtir une eth(n)o-histoire animale

Du Saint

Caroline Du Saint

Réalisatrice à Nova Production, son dernier documentaire “L’Usine des animaux”a été diffusé sur Arte en mars 2023, et sélectionné au Fipadoc, catégorie Impact. En 2022, elle a co-réalisé “Le grand remplacement, histoire d’une idée mortifère” sur LCP avec Nicolas Lebourg et Thomas Zribi. En 2020, elle signe un des documentaires de la série World’s Most Wanted sur Netflix :  “Matteo Messina Denaro, dernier parrain de la mafia sicilienne”, sur Netflix.Auparavant, elle a longtemps travaillé pour l’agence CAPA, réalisant notamment plusieurs documentaires d’investigation pour Canal +, parmi lesquels “Espagne, le scandale des bébés volés” et “Hugo Chavez, le grand mensonge”, ou encore “JuanCarlos, le crépuscule de la monarchie espagnole”.

Olivier Thomas

Olivier Thomas

Rédacteur en chef adjoint à la revue L'Histoire.

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