En 1840, comme le rapporte avec amusement Charlotte à son amie Ellen Nussey, Haworth est décrit dans les journaux comme un isolat « semi-barbare » oublié des hommes et de Dieu, où les lumières de l’Angleterre moderne et civilisée commencent à peine à poindre sous l’impulsion du clergé. Un parfait anonymat enveloppe encore la fratrie qui va rendre mondialement célèbre ce gros village du Yorkshire, donner son nom à toute une région du Nord d’Angleterre (Brontë Country), et marquer à jamais le panorama littéraire.

En deux siècles, les enfants du pasteur ont atteint un statut quasi-mythique, source d’inspiration des romanciers et cinéastes. Il nous reste pourtant aujourd’hui beaucoup à (re)découvrir sur ces figures : leur légende, fruit de leur notoriété, a pu masquer ou fausser le réel. La correspondance de Charlotte et des siens, partiellement traduite à l’occasion du bicentenaire des naissances des enfants Brontë remet en lumière leur vie quotidienne ainsi que les étapes de leur histoire familiale, narrées sur le vif par les héros. Ces écrits intimes et pourtant tournés vers l’extérieur dévoilent également les liens que les Brontë entretiennent avec un monde en pleine évolution : en d’autres termes, ils recréent la manière dont l’histoire de la famille s’insère dans l’Histoire en cours d’une nation, et le regard que ces figures exceptionnelles portent sur les problématiques du temps.