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Mercredi 17 novembre 2021 - 16 h 10
- Cinéma Jean Eustache
Ludwig ou le Crépuscule des dieux

Ludwig ou le Crépuscule des dieux
Ludwig
Luchino Visconti
1972
185 min.
Ludwig ou le Crépuscule des dieux
Le jeune Ludwig, à 19 ans, devient roi de Bavière. C'est un être plein de bonnes intentions et de rêves enthousiastes qui souhaite s'entourer de conseillers émérites et de célèbres artistes. Hélas, son règne de vingt années, à l’issue tragique, va être une suite ininterrompue de déceptions…
« Si Wagner n’était pas un artiste, ce serait un saint. Il a un génie purificateur. Son art est rédempteur. C’est un antidote au mal et à la corruption de notre société. Richard Wagner sera éternel, car l’art est la vérité absolue. » – Louis II de Bavière, Ludwig
Pompe et circonstance.L’histoire veut que le futur Louis II de Bavière ait entendu pour la première fois un opéra de Wagner (en l’occurrence Lohengrin) en 1861. Il a alors seize ans et il est tellement bouleversé qu’il est victime d’une crise d’épilepsie. La passion de Louis II pour les arts, en particulier pour l’architecture et la musique de Wagner est au cœur du film de Luchino Visconti, vaste fresque sur le parcours du monarque, de son accession au trône en 1864 à sa mort prématurée et encore sujette à conjectures en 1886, après sa mise à l’écart du pouvoir et son internement pour démence au château de Berg. L’hypersensibilitéde Ludwig s’est affirmée sur une relation tendue avec ses parents ; sur une attitude extravertie et un goût pour le spectacle sous toutes ses formes, qui structurent un univers intérieur puissamment onirique ; sur une homosexualité qu’il s’attache (sans succès) à réprimer ; enfin sur une tendance toujours plus marquée à la réfutation du réel, qui l’amène à se délester des devoirs de sa charge[1]. Ce jeune roi cultivé à l’allure altière, le peuple l’a accueilli très favorablement, avant que l’édification de châteaux dispendieux et sa générosité à l’égard de Wagner ne viennent abîmer sa réputation.
Pourtant, et surtout après sa mort, Ludwig fera l’objet d’une réhabilitation et même d’un culte que les membres de sa garde rapprochée, effarés par un tempérament qu’ils jugeaient iconoclaste et inapte à l’exercice du pouvoir, ne laissait pas forcément prévoir. Le rapport à Wagner demeure déterminant dans cette postérité, avec le financement des représentations de Tristan und Isolde(1865, un énorme succès), puis celui du palais des festivals de Bayreuth et l’apogée artistique que représente la Tétralogie (L’Or du Rhin,La Walkyrie, Siegfried, Le Crépuscule des Dieux), dans laquelle Wagner élabore sa conception de l’opéra comme « spectacle total ».
Le testament de Visconti.Ludwig, dernier volet d’une « trilogie allemande » formée avec Les Damnés(1969) et Mort à Venise(1971), est souvent perçu comme le testament artistique de Visconti. Le film, long et complexe, a connu une genèse troublée, provoquant l’attaque qui laisse un Visconti épuisé hémiplégique [2]. Ce projet est né de l’adaptation avortée d’À la recherche du temps perdu, qui est avec La Montagne magiquede Thomas Mann le « grand œuvre perdu » de Visconti. Ce qui ne n’empêche pas le cinéaste, avec une puissance de travail hors norme, de s’immerger complètement dans cette biographie du « roi-lune » en patron des arts et promoteur/financeur de la révolution wagnérienne. La précision des recherches et l’exigence de Visconti (tournage sur les lieux mêmes habités par Louis II, obsession du décor et du détail authentiques) rejoignent à la même époque celles d’un Kubrick pour son Napoléonfinalement abandonné, puis pour Barry Lyndon(1975) et sa reconstitution des sociétés européennes au XVIIIe siècle. Tourné en italien et en anglais, le résultat final d’une durée de 4h30 effraie les producteurs. La longueur du film et les références explicites à l’homosexualité de Ludwig conduisent à un remontage drastique (3h) auquel Visconti, les mains liées par contrat, consent la mort dans l’âme. C’est seulement après sa disparition que ses proches collaborateurs entreprennent de récupérer les droits et de présenter, en 1980, une version plus conforme aux vœux du maître. Le film conserve toujours les stigmates de sa conception heurtée, d’autant que la syntaxe de Visconti, qui évolue radicalement avec et après Le Guépard(zooms et raccords violents, par exemple) se combine à l’extraordinaire raffinement de la couleur et des décors. Le cinéma des plus grands stylistes italiens de l’époque (Visconti, Mario Bava, Dario Argento, Sergio Leone, Bernardo Bertolucci, Marco Ferreri) s’affirme ainsi dans un balancement rhapsodique entre sophistication et brutalité (de la syntaxe comme du récit et des personnages). Mais il appartient à Visconti, par la démesure et la cohérence globale de ses projets, d’avoir redéfini, de Senso(1954) à Ludwig, la représentation de l’Histoire. Et d’avoir su observer et saisir les mécanismes profonds qui président aux mutations d’une société entière.
[1] Lorsqu’il nie, par exemple, le conflit contre la Prusse de Bismarck, désireuse au milieu des années 1860, d’écarter la Bavière de l’orbite autrichienne et la faire intégrer le giron prussien. Ce qu’elle parvient à accomplir à partir de 1866…
[2] Sur l’aventure du film, lire absolument le texte synthétique mais très documenté de Samuel Petit, médiathécaire à la Cinémathèque française : « Ludwig » de Visconti : histoire du scénario de tournage - La Cinémathèque française(https://www.cinematheque.fr/article/1118.html).
Fiche du film
Réalisateurs(trices)
Luchino Visconti
Année
1972
Titre original
Ludwig
Durée
185 minutes
Date Sortie française
Jeudi 15 mars 1973
Auteur(s) / Scénario
Luchino Visconti, Enrico Medioli, Suso Cecchi D'Amico
Format de diffusion
DCP
Détails
Interprètes
Helmut Berger (Ludwig II de Wittelsbach), Romy Schneider (Elisabeth d’Autriche), Trevor Howard (Richard Wagner), Silvana Mangano (Cosima von Bülow), Gert Froebe (le père Hoffmann)…
Direction photographie
Armando Nannuzzi
Montage
Ruggero Mastroianni
Couleur
Couleur
Production
Mega Film (Italie), Cinétel (France), Divina-Film, Dieter Geissler Filmproduktion (RFA)
Distributeur
Tamasa
Musique
Richard Wagner, Robert Schumann
Son
Giuseppe Muratori, Vittorio Trentino
Costumes
Piero Tosi
Décors
Gianfranco De Dominicis, Enzo Eusepi, Corrado Ricercato, Oltrona Kuchino Visconti
Producteur(trice)
Dieter Geissler, Ugo Santalucia
Pays
Italie-France-Allemagne