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Mardi 16 novembre 2021 - 11 h 40
- Cinéma Jean Eustache
Le Puits et le pendule

Le Puits et le pendule
Alexandre Astruc
1964
37 min.
Le Puits et le pendule
Victime du jugement implacable de l'Inquisition espagnole, un prisonnier se retrouve face à sa sentence et à l'arrivée imminente de la mort. En proie à une terrible détresse psychologique, il affronte le supplice du puits et le balancement meurtrier du pendule…
« Je ne pouvais pas douter plus longtemps du sort qui m’avait été préparé par l'atroce ingéniosité monacale. Ma découverte du puits avait été devinée par les agents de l'Inquisition […] J’avais évité le plongeon par le plus fortuit des accidents, et je savais que l'art de faire du supplice un piège et une surprise formait une branche importante de tout ce fantastique système d'exécutions secrètes. » – Edgar Poe, « Le Puits et le Pendule »
L’effet unique.En France, Edgar Allan Poe est indissociable de Charles Beaudelaire. Éperdu d’admiration, l’auteur des Fleurs du Maltraduit en effet les contes de Poe dans deux recueils assemblés par ses soins, parus respectivement en 1856 et 1857[1] : Les Histoires extraordinaireset Les Nouvelles Histoires extraordinaires. Étonnament, c’est dans le second que l’on trouve la plupart des titres qui ont fait la gloire de Poe : « Le Chat noir », « La Chute de la Maison Usher », « William Wilson[2] », « Le Masque de la mort rouge » et « Le Puits et le Pendule[3] ».
L’image que le lecteur français se fait d’Edgar Poe est souvent celle d’un génie prématurément miné par l’alcool. Image qui convoque également une prose sophistiquée, baroque, propice au délire – très colorée, on le voit, par le propre style de Beaudelaire et par une certaine idée du romantisme.
Se confronter à la prose de l’Américain produit pourtant une impression toute autre. Pour erratique qu’ait été la trajectoire de Poe et son addiction occasionnelle à l’alcool, c’est la rigueur analytique du style – une densité souvent austère qui n’a rien de « délirant » ou d’éthéré – qui frappe le lecteur. Cette rigueur découle d’une théorie de « l’effet unique » que Les Éditions de Londres[4]définissent comme « la recherche d'une certaine forme d'harmonie, de perfection, par l'organisation de tous les éléments du texte vers un équilibre parfait, d'où tous les aspects non essentiels et nécessaires auraient été gommés.[5] » Théorie mise en pratique dès le fameux « Double Assasinat dans la rue Morgue », qui ouvre les Histoires extraordinaireset invente pour ainsi dire, avec le personnage de l’inspecteur Dupin et ses extraordinaires qualités déductives, le roman policier.
Poe-Astruc.Au milieu des années 1960, Alexandre Astruc se tourne vers le petit écran, après avoir joué le rôle d’un théoricien pour la Nouvelle Vague[6]et réalisé plusieurs films (La Proie pour l’ombre, 1961 ; L’ Éducation sentimentale, transposition contemporaine du roman de Gustave Flaubert, 1962) qui peuvent être apparentés au mouvement.
Le Puits et le Penduleest le premier conte d’Edgar Poe qu’Alexandre Astruc met en scène, mais pas le dernier : dans le cadre de deux séries télévisées, il adapte également La Lettre volée(en 1975) et La Chute de la Maison Usher(en 1981)[7]. Il est d’ailleurs intéressant de comparer son apport à Edgar Poe en cette année 1964, alors même qu’aux États-Unis, le producteur-réalisateur Roger Corman boucle un cycle de huit adaptations de Poe tournées entre 1960 et 1964 pour le petit studio American International Pictures (A.I.P.). Sept d’entre elles ont pour vedette Vincent Price et la version Corman du Puits et le Pendule(1961) est le deuxième film du cycle, après le succès de La Chute de la maison Usher. Il est difficile d’imaginer des partis-pris plus radicalement opposés entre les deux traitements – conditionnés à la fois par les moyens mis en œuvre et des choix esthétiques. Chez Corman, rôle essentiel de la couleur, de l’écran large, de la théâtralité assumée et expressive de Vincent Price, du sadisme associé à la chambre des tortures située au sous-sol de l’imposant château des Medina. Sans oublier, évidemment… un rapport très très lointain avec le récit d’Edgar Poe !
Chez Astruc, au contraire, voix-off reprenant de larges extraits du texte original, noir et blanc charbonneux, économie de moyens et resserrement du décor qui va dans le sens de cette focalisation sur le narrateur et les épreuves successives auquel il est soumis. Pourtant, ces choix ne sont pas nécessairement anti-spectaculaires. Particulièrement oppressant, le film réussit des plans-tours de force comme celui où, dans la même composition savamment orchestrée, le narrateur est assailli par les rats qui grignotent ses liens tandis que l’énorme pendule frôle sa poitrine. À ses débuts, Alexandre Astruc avait pratiqué et défendu le court métrage et il se montre très à l’aise dans ce format qu’il pratiquera à nouveau dans Évariste Galois.
[1] Un troisième recueil d’Edgar Poe, Histoires grotesques et sérieuses, toujours traduit et « conçu » par Beaudelaire, paraît en 1864. Par ailleurs, c’est en 1857 que paraît la première édition des Fleurs du Mal, suivie de trois autres – la dernière posthume – jusqu’en 1868.
[2] Adapté par Louis Malle dans le film à sketches Histoires extraordinaires(1968), avec Alain Delon dans le rôle-titre et Brigitte Bardot. Les deux autres contributeurs du film sont Federico Fellini et Roger Vadim.
[3] « Double Assassinat dans la rue Morgue » et « Ligeia », quant à eux, sont intégrés au premier volume.
[4] Éditeur en ligne d’ouvrages numériques, parmi lesquels plusieurs contes de Poe proposés en version bilingue. Les textes sont accompagnés de présentations pertinentes et soignées.
[5] https://www.editionsdelondres.com/Poe-Edgar-Allan
[6] Rôle qu’il réfute d’ailleurs avec véhémence. Ne déclarait-il pas en 2002 : « Ce qui m'horripile est la filiation qu'on m'attribue avec la Nouvelle Vague. Cent fois, on m'a dit : "Vous êtes l'inventeur de la Nouvelle Vague, la caméra-stylo a initié le mouvement…" Pour moi, il y a Godard, qui a du génie, et Rohmer, grand cinéaste. Le reste, je peux m'en passer. », repris dans « Alexandre Astruc pose la “caméra-stylo”, Libération, 19 mai 2016.
[7] Cette dernière fait partie d’une anthologie en six épisodes évidemment baptisée Histoires extraordinaires. Maurice Ronet, qu’Alexandre Astruc venait de faire tourner dans L’Éducation sentimentaleet qui incarne le personnage-narrateur du Puits…, en réalise deux, Le Scarabée d’oret Ligeia.
Fiche du film
Réalisateurs(trices)
Alexandre Astruc
Année
1964
Durée
37 minutes
Date Sortie française
Jeudi 9 janvier 1964
Auteur(s) / Scénario
Alexandre Astruc
Détails
Interprètes
Avec Maurice Ronet (le prisonnier).
D'après
D'après la nouvelle de Edgar Allan Poe
Direction photographie
Nicolas Hayer
Montage
Monique Chalmandrier
Couleur
N&B
Son
Paul Bonnefond
Pays
France
Critiques
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